L’enterrement dans le Haut Doubs
1985 l’enterrement dans le haut doubs 50F 0,88-1,16 isorel
CROYANCE, texte de Jean-Luc Andreoletti
J’ai cru au silence du matin et au café fumant
aux regards poisseux des nuits agitées, aux vérités de la veille
J’ai cru à la parole emprisonnée par les regards des amants
aux cicatrices béantes des souvenirs qui émerveillent
J’ai cru à l’odeur des jours et à la chaleur des forêts
aux eaux saumâtres des fleuves de mes peines
J’ai cru aux gestes de l’enfant désarmé et inquiet
à l’obsédante ambiguïté de toute condition humaine
J’ai cru aux réponses au-delà de toutes questions
en deçà de toute interrogation, de tout désir
J’ai cru aux limites voilées d’un nouvel l’horizon
aux rives dissimulées qui inquiètent et attirent
J’ai cru aux clés qui ouvrent les portes d’un jouir sans fin
aux sentiments obscurs, aux caprices curieux
J’ai cru au vol calculé des oiseaux et à l’appel du chemin
à l’effervescence des derniers crépitement du feu
J’ai cru aux résurgences et aux souterrains secrets
à la naïveté illégitime d’un nouveau mystère
J’ai cru aux torrents qui polissent les galets
aux faux semblants nocturnes, à l’absence passagère
J’ai cru à l’ombre et au repos de la mémoire
aux reflets du miroir, aux étreintes posthumes
J’ai cru à la pierre qui jalonne les routes du soir
Aux aurores silencieuses dans l’agonie des brumes
J’ai cru aux regards invisibles et aux doutes du geste
aux tempêtes à venir, à la douleur du chagrin
J’ai cru aux espaces vierges et au vent d’ouest
à la honte muette face à l’insolence du destin
J’ai cru aux caresses, aux sourires et aux épithètes,
à l’instant particulier où naît le rayon vert
J’ai cru aux chimères et aux dragons à deux têtes
aux rencontrent inconnues, aux regrets qu’on enterre
J’ai cru à la prudence des esprits et à l’harmonie des corps
au sourire de la victoire et au goût de la paix
J’ai cru aux ratures du passé et à l’envers du décor
à la clandestinité des signes et à la valeur du respect
J’ai cru aux discours enflammés et aux soliloques du sage
au pardon donné après des soirs d’inquiétude
J’ai cru à l’insignifiance de l’absence, à la sagesse de l’âge
aux arrogantes coïncidences malgré les incertitudes
J’ai cru à l’audace des mots et aux folles hésitations
au hasard d’une rencontre ou à sa nécessité première
J’ai cru à l’impossible et téméraire volonté des passions
à la tendresse capable de vaincre les frontières
J’ai cru à la perfection volée aux portes de l’éternité
Ce très beau tableau engendre la mélancolie parce que le paysage d’une grande pureté survivra toujours aux hommes.
La tristesse est clairement élevée sur chaque visage, mais en regardant à nouveau cette toile, je ressens le calme dans cette blanche campagne qui perdurera alors que les personnages eux périront chacun leur tour.
Finalement, était-ce si triste de suivre son propre enterrement demandais-je à l’artiste ?
En guise de réponse, je reçu un sourire et Roland balaya d’un revers de pinceau ces balivernes sentimentales.
Il me demande ce que je pense du tableau. Je réponds qu’il me semble rencontrer sur la toile des gens avec une drôle de physionomie, celle qui à l’air de croire en Dieu.
Comme piqué au vif, il parait sombrer dans le mutisme, lui qui croit en la valeur d’une vraie conversation toute simple avec les gens.
Puis soudain il éprouve un grand réconfort lorsque Toby chien jappe à la porte de l’atelier, signifiant ainsi qu’il est l’heure de leur balade quotidienne.
Il a l’air si apaisé, je n’ose plus dire un mot.
Dehors, l’artiste avance, il aime tant la marche, car ses jambes comme son pinceau, ne peuvent rester immobiles bien longtemps et son talent n’est pas prêt de s’éteindre.
Difficile, quand on regarde cet « enterrement dans le Haut-Doubs » de ne point songer à celui d’Ornans, peint par Courbet, le maître à penser de Roland Gaudillière. L’artiste avait du goût ! Pour son chef d’œuvre, Courbet arguait « du réalisme comme un art démocratique, donc de l’introduction de la démocratie dans l’art ». Ici, on est au centre du débat. L’enterrement vu par Roland Gaudillière est moins « politique » que celui d’Ornans…Mais tellement plus proche du peuple et du terroir. On sent le vécu.
Le tableau, en lui-même, est austère. Un hiver que l’on suppose glacial pour cette dernière marche funèbre entre les congères sous une lumière basse, un ciel quasiment absent. Roland Gaudillière a mis toute sa puissance et toutes ses connaissances de coloriste dans ce tableau.
Mais aussi un grain d’ironie. Entre la rigueur du prêtre, revêtu de noir , visage taillé à la serpe et le regard fermé de ceux qui croient à la rédemption, et les « tronches » des enfants de chœur sortis tout droit d’une bande dessinée surréaliste…Ils chantent avec plus ou moins de conviction, marchant en tête du cortège. On sent toute l’irrévérence de l’artiste face à la société…à la religion plus particulièrement.
Le cercueil des pauvres est porté à dos d’hommes, tant bien que mal, sur un chemin qu’on imagine difficile et glissant. Allégorie de la vie quotidienne. Au loin, la famille courbée sous le chagrin et le froid suit le cortège…Présente, mais détachée du mouvement, déjà absente de cet ultime chapitre de la vie.
L’élément phare de ce tableau est à gauche, au premier plan ; L’artiste voit passer son propre cortège funéraire. En se représentant ainsi, vieilli, dépouillé de tout artifice, ayant laissé tous les métaux sur le parvis, il nous livre le fonds de son âme. Montre à quel point il sait être humble, pas forcément devant le crucifix qui passe, mais devant la mort qui nous étreindra un jour ou l’autre. Il gémit, mais espère. Et c’est là toute la force du message délivré par ce tableau. Humilité ! Le maître-mot. Le mot des maîtres.